MISES EN GARDE

Covid-19 et Mustélidés : les furets sont-il en danger ?

Nous sommes en décembre 2020, la pandémie de covid-19 ébranle le monde depuis déjà presque un an… et la situation commence à devenir inquiétante pour bon nombre de passionnés de Mustélidés. En cause : la découverte d’une mutation du virus au sein des populations captives de visons américains (Neovison vison ou Mustela vison), qui serait susceptible de menacer les efforts fournis dans le développement d’un vaccin. S’en suivent des abattages sanitaires massifs aux quatre coins de l’Europe, laissant cette question en suspens dans l’esprit de tous les « parents » de furets : mon animal risque-t-il quelque chose ? Bien que les données actuelles soient très rassurantes en ce qui concerne le furet, un état des lieux s’impose afin de comprendre les enjeux de cette situation inédite…

Mustélidés et coronaviroses

La sensibilité des Mustélidés aux coronaviroses (maladies causées par un coronavirus) n’est pas une découverte récente. Ainsi, tous les amoureux de furets connaissent, ne serait-ce que de nom, la célèbre Maladie de la diarrhée verte ou ECE (Entérite Catarrhale Épizootique).

Cette infection digestive aigue (qui peut s’avérer mortelle si elle n’est pas prise en charge à temps) se caractérise notamment par des selles vertes mucoïdes, des vomissements, une perte rapide de poids ainsi que de l’anorexie. Extrêmement contagieuse, l’ECE est susceptible de causer une mortalité très importante dans tout élevage ou foyer où elle se développe. Cependant, en-dehors de l’appartenance à la famille des coronavirus, l’ECE et la covid-19 n’ont pas grand-chose en commun. Les deux virus ne ciblent pas les mêmes organes, causent des symptômes différents, et n’infectent pas les mêmes espèces. Le virus responsable de l’ECE est fort heureusement inoffensif pour les êtres humains – ce qui n’est pas le cas de celui à l’origine de la covid-19 (officiellement nommé  SARS-CoV-2).

La covid-19 chez le vison américain

Contrairement à l’Entérite Catarrhale Épizootique, la covid-19 est une zoonose, c’est-à-dire une maladie capable de se transmettre entre les humains et d’autres animaux vertébrés, et ce dans les deux sens. Plusieurs espèces animales sont connues pour être sensibles au SARS-CoV-2, dont le vison américain (Neovison vison ou Mustela vison).

Les premiers cas de visons infectés ont été relevés dans des visonnières néerlandaises en avril 2020. D’après la thèse la plus probable, les animaux auraient été contaminés par un employé de l’exploitation.
Il est à noter que cette contagion a pu avoir lieu malgré des mesures sanitaires strictes et un mode de vie en milieu ouvert : les visons sont en effet maintenus dans des modules d’élevage hors sol, en plein air ; des conditions qui minimisent la densité de particules virales dans l’environnement.
Afin de déterminer l’étendue des risques, le gouvernement  néerlandais a mené une campagne de dépistage de la covid-19 dans toutes les visonnières durant les mois de mai à juin, qui s’est ensuite conclue par l’abattage des cheptels infectés.

Quelques mois plus tard, malheureusement, de nouveaux foyers infectieux sont découverts au Danemark, un des principaux pays producteurs de fourrure. Parmi les nombreux animaux malades, 12 étaient porteurs d’une variante du virus, capable de réinfecter l’être humain.
Les autorités danoises sont alors sur le qui-vive, car si cette nouvelle souche se révélait trop différente de celles utilisées pour les projets de recherches, toute future campagne de vaccination pourrait être compromise.

En l’absence de consensus scientifique absolu concernant ce risque émergent, et face à la multiplication du nombre de personnes (humains et visons) atteintes par ce virus mutant, le gouvernement danois est contraint de prendre une décision radicale mais controversée : abattre et détruire la totalité de son cheptel national de visons américains.
Plus de 15 millions d’animaux ont ainsi dû être euthanasiés, puis incinérés ou enfouis, afin de contenir la propagation de la souche. Parallèlement, de nouveaux foyers se déclarent partout en Europe ; amenant la France, l’Espagne, la Grèce… à procéder également à des abattages sanitaires.
Suite à la découverte et à l’euthanasie de plusieurs chats et chiens contaminés près des visonnières, le Danemark craint de voir se constituer un réservoir zoonotique (population animale susceptible de contaminer les humains). Une inquiétude partagée par les académies de médecine vétérinaire et humaine françaises, qui recommandent une surveillance étroite de l’évolution de la situation dans les populations animales, afin de prévenir ou d’anticiper la mise en place d’un réservoir zoonotique occulte.

Au moment de la rédaction de cet article, un mois après les abattages danois, la communauté scientifique se veut heureusement rassurante. Bien que des mutations aient été constatées entre les souches virales plus anciennes et celle observée au Danemark, l’OMS et le Centre Européen de Prévention et de Contrôle des Maladies considèrent qu’il n’existe pas de risque accru pour les populations humaines, et que l’efficacité des vaccins en développement n’est pas menacée.

Furet, vison : même combat ?

Choqués par ces évènements funestes, de nombreux amoureux de Mustélidés manifestent leur désarroi… mais aussi leurs inquiétudes : les furets risquent-ils eux aussi d’être contaminés ? Nous dirigeons-nous vers un abattage préventif des populations de furets ? Cette angoisse latente est aggravée par les propos médiatiques du vétérinaire Loïc Dombreval, député et président du groupe Condition animale à l’Assemblée nationale ; qui exhorte les propriétaires de furets à « ne pas être trop proches de leur animal ».

Pourtant à l’heure actuelle, les données sur la sensibilité du furet au SARS-CoV-2 pondèrent fortement les recommandations du docteur Dombreval.
En effet, une étude du Département des maladies infectieuses de la Cummings School of Veterinary Medicine tend à prouver que le risque de contamination des furets par les humains dans un contexte domestique est négligeable, si ce n’est nul.
En mars 2020, des chercheurs ont ainsi suivi le cas d’une population de 29 furets vivant avec leurs propriétaires, lesquels avaient été contaminés et testés positifs pour la covid-19. Malgré des contacts étroits avec leurs soigneurs humains, et l’état de santé fragile de certains des furets de l’échantillon, aucun d’entre eux n’a développé la maladie ni présenté de signe d’une contamination par leurs propriétaires ; analyses PCR à l’appui.
En d’autres termes : d’après les données actuelles, le risque de contamination des furets par leurs propriétaires malades semble très négligeable.

Par ailleurs, même dans le cadre de recherches en laboratoires, les furets infectés artificiellement ne sont pas contagieux pour les humains, et des protocoles d’inoculation agressifs sont nécessaires afin de provoquer les réactions attendues – une situation qui n’a absolument rien à voir avec celle des visons américains contaminés spontanément.

La cause de cette disparité très importante entre la sensibilité du vison américain et celle du furet au SARS-CoV-2 n’est pas encore complètement connue, et pourrait dépendre de différences significatives dans la structure de l’enveloppe cellulaire de ces deux espèces. Difficile cependant d’en dire plus, les données étant insuffisantes, toute comme les connaissances en virologie de votre modeste servante…

Quelles précautions prendre pour protéger mon mustélidé ?

Bien que les données apportées par l’étude de la Cummings School of Veterinary Medicine soient rassurantes, il faut savoir garder un esprit critique et replacer les éléments dans leur contexte. Même si actuellement, les risques de contamination des furets par leurs soigneurs semblent très faibles, quelques mutations génétiques suffiraient à changer la donne. Il faut également penser au risque avéré de contamination pour les visons de compagnie vivant (légalement ou non) sous le même toit que des êtres humains.

Les personnes qui côtoient des Mustélidés (et n’importe quel animal en général) doivent rester vigilantes et prendre des précautions sanitaires, en particulier en cas de symptômes évocateurs de la covid-19 :

  • Appliquer les consignes sanitaires élémentaires : se laver les mains, se changer en rentrant chez soi, porter un masque dans les lieux publics, respecter la distanciation sociale.
  • Eviter d’embrasser son animal et de l’approcher de son visage.
  • Porter un masque et limiter les manipulations au strict minimum en cas de symptômes ou d’infection dépistée.
  • Idéalement, confier les soins de son animal à une autre personne en cas de symptômes ou d’infection dépistée.
  • Se laver soigneusement les mains à l’eau chaude et au savon avant et après toute manipulation du mustélidé, de sa nourriture et/ou de ses affaires (cage, jouets…).
  • Limiter les visites d’invités et leur interdire de manipuler l’animal.
  • Ne pas promener son furet dans une zone fréquentée (parc urbain, rue, commerces…) et limiter les sorties au minimum vital (consultations vétérinaires).
  • Ne pas participer à des rencontres de furets, que ce soit dans un cadre récréatif ou d’élevage (saillies avec des animaux extérieurs au cheptel).
  • Se faire dépister en cas de symptômes évocateurs.
  • Faire tester son animal si l’on est soi-même contaminé(e).

Bien que désagréable à vivre, la pandémie que nous traversons actuellement finira par prendre fin. Patience, vigilance et précautions sont les maîtres-mots, pour se protéger soi-même, mais aussi pour préserver nos animaux des risques encourus. Car la santé humaine sera toujours prioritaire pour les dirigeants politiques – en cas d’épizootie (épidémie animale) avérée de covid-19, des millions d’animaux pourraient faire les frais d’un abattage préventif. C’est à nous, humains, de prendre nos responsabilités pour assurer la santé et la survie de nos Mustélidés de compagnie.

Douchka Brouet

Merci à Hélène Jacques, vétérinaire à la clinique Yes We NAC (Eybens), et à François Moutou, vétérinaire épidémiologiste, pour leurs relectures attentives et les corrections apportées à cet article.