Tandis que le retour des beaux jours s’annonce lentement mais sûrement, de nombreux particuliers sont surpris de découvrir que leur furette présente déjà des signes de chaleurs. La tentation est alors grande pour certains d’entre eux : « et si je faisais une portée ? » Pourtant, cette décision qui paraît très anodine ne doit jamais être prise à la légère.
Bien que les associations de protection animale tentent tant bien que mal de détruire ce mythe, la reproduction d’animaux reste perçue comme un hobby facile et peu contraignant aux yeux du grand public. Que ce soit sur les forums ou dans les groupes Facebook, les mêmes questions basiques reviennent inlassablement, malgré la profusion de sources et d’informations relayées sur des sites spécialisés. Un constat sans appel s’impose : les particuliers sont malheureusement peu renseignés par rapport aux enjeux associés à la reproduction, surtout dans le cas des NAC tel que le furet.
Les motivations personnelles exposées sur les sites internet (notamment sur Facebook) suivent presque toujours le même schéma : le « parent » d’un furet considère son animal comme étant le plus beau qui puisse exister et décide de le reproduire pour garder un de ses descendants – sans penser une seule seconde aux innombrables problématiques qu’un tel acte implique. État sanitaire et généalogies des reproducteurs, objectifs de sélection, considérations éthiques et morales…
Ces questions complexes, qui constituent une grande partie du travail d’un éleveur passionné, sont bien trop souvent absentes du processus décisionnaire des particuliers. Elles sont pourtant indispensables à la mise en place d’un projet de reproduction raisonnée, comme vous allez pouvoir le découvrir.
Un regard critique sur les reproducteurs
La volonté de faire reproduire son furet dérive majoritairement de l’attachement que l’humain éprouve envers son petit compagnon. Or, bien que le cœur ait ses raisons, il est loin d’être le meilleur conseiller lorsqu’il s’agit de prendre des décisions rationnelles !
Ainsi, un furet jugé « splendide » par son propriétaire peut parfaitement présenter en réalité des oreilles trop pointues, une dysplasie des coudes, ou un quelconque autre défaut rédhibitoire pour la reproduction. Dans les domaines canin et félin, les expositions servent justement à fournir un regard extérieur critique, permettant d’évaluer le bien fondé ou non d’une reproduction. Malheureusement, les expositions de furets restent anecdotiques en France, laissant les particuliers sans repère objectif quant aux qualités physiques de leurs petits mustélidés.
Par ailleurs, les critères de couleur et de longueur du pelage sont les seuls pris en compte par les particuliers lors du choix du partenaire de leur animal. L’anatomie des reproducteurs, leur musculature, leur dentition, leur taille – autant de caractéristiques physiques partiellement héréditaires qui ne sont presque jamais détaillées avant de se lancer dans la conception d’une portée…
Comme on peut s’y attendre en pareille situation, il en résulte des accouplements « à l’aveugle », sans aucune prise en compte des qualités et défauts de chacun des parents.
Généquoi ?
Génétique, généalogie, génotype – ces termes bien connus des éleveurs restent flous pour le grand public. La bonne compréhension des enjeux génétiques est pourtant indispensable à une reproduction sensée et raisonnée.
La génétique est la branche de la biologie qui étudie les caractères héréditaires, c’est-à-dire transmissibles d’une génération à l’autre. Lorsque l’on souhaite évoquer les caractères héréditaires portés par un individu particulier, on parle de génotype. Quelques règles de base en génétique permettent ainsi de connaître ou du moins d’avoir une idée du génotype d’un animal en se basant sur ses caractéristiques physiques observables (phénotype) et sur sa parenté.
C’est ici que la connaissance de la généalogie de l’animal devient cruciale, car elle permet d’avoir un aperçu du génotype de chaque partenaire pour prédire celui de la descendance. De plus, elle permet également de s’assurer qu’il n’existe pas de lien de parenté entre les deux partenaires, ce qui résulterait en union consanguine et pourrait avoir des effets néfastes sur les furetons.
La génétique du furet étant aujourd’hui encore méconnue et peu étudiée, il est impossible d’identifier avec certitude les possibles mutations dangereuses chez cette espèce, comme par exemple les facteurs létaux (gènes causant une mort précoce ou la non-viabilité du fœtus). La connaissance approfondie des généalogies des parents, sur une longue période et avec un maximum de donnés concernant leurs ancêtres (longévités, taux de mortalité juvénile…) est actuellement la seule source fiable d’informations permettant de déterminer la qualité génétique d’une lignée.

Les conséquences d’une mauvaise sélection
Lorsque les parents n’ont pas été choisis correctement, les effets qui peuvent en résulter sont plus ou moins graves. La conséquence la plus visible est celle d’un physique « ingrat » pour les furetons : oreilles mal positionnées, décollées, trop grandes ; pattes trop courtes ou trop longues, yeux asymétrique… Ces défauts ne provoquent pas nécessairement de souffrance pour le furet, mais sont néanmoins contraires à l’idéal de sélection vers lequel tendent les éleveurs consciencieux.
Une autre conséquence, beaucoup moins superficielle cette fois-ci, est le développement in utero de malformations congénitales : membre atrophié, problème cardiaque, anomalie squelettique… Selon la position de la malformation et l’organe touché, la qualité de vie du furet peut être impactée de manière sérieuse. Si une patte plus courte a peu de chance de le gêner, une malformation cardiaque peut raccourcir de manière fulgurante sa longévité.
Tout comme les humains, les furets sont aussi exposés à certaines maladies d’origine génétique : myopathie, prédisposition à certains cancers, trouble hormonal inné… Une mauvaise stratégie de sélection, par exemple un recours mal géré à l’inbreeding (consanguinité sur l’ensemble d’une lignée), peut amener à la naissance de furetons à la santé précaire.
Pire encore, les effets néfastes d’une mauvaise sélection ne sont pas toujours visibles immédiatement. En effet, certaines caractéristiques héréditaires peuvent passer inaperçues durant plusieurs générations, se répandant ainsi dans la population de manière silencieuse, jusqu’à ce que de futurs accouplements leur permettent d’apparaître dans la descendance. Des dizaines d’animaux, parfois des centaines, se retrouvent alors concernés par le risque de mettre au monde des bébés malformés, malades ou non viables.
On estime que le raccourcissement de la longévité moyenne des furets durant ces 20 dernières années proviendrait en partie de mauvais choix d’accouplement sur plusieurs générations.
Des enjeux de santé à tous les niveaux
Tout comme les êtres humains, les furets sons susceptibles de transmettre des maladies à leur partenaire et à leur descendance lors du processus de reproduction. Maladie aléoutienne (comparable au SIDA), entérite catarrhale épizootique (ECE), mycobactériose, maladie de Carré… La liste des infections transmissibles est suffisamment longue pour exiger des précautions sanitaires.
Les propriétaires des deux animaux devront s’assurer du bon état de santé de leurs furets, en procédant non seulement à des soins réguliers (vaccins à jour, vermifugation…) mais aussi en procédant si besoin à des dépistages sanguins et à un examen coprologique préalable.
Par ailleurs, la gestation, la mise bas et l’élevage de petits présentent des risques pour les furettes, comme pour n’importe quelle femelle mammifère. Durant la gestation, la furette peut développer une toxémie, de l’hypocalcémie, et divers autres troubles métaboliques nécessitant une prise en charge vétérinaire urgente. La mise-bas amène elle aussi son lot de risques vitaux : éclampsie, hémorragie massive, obstruction due à un fœtus bloqué dans le canal utérin… Même si ces évènements sont minoritaires chez le furet en comparaison de ce que l’on observe chez certaines races de chiens et de chats de race, leur survenue est synonyme d’urgence vitale pour la mère comme pour les furetons.
Une fois les petits venus au monde, tout ennui ne sera pas écarté. Agalactie (manque de lait), mammite, pyomètre, infection parasitaire transmise à la descendance, troubles de la croissance, mort subite des furetons, sont autant de situations pouvant se présenter si les conditions d’élevage ne sont pas optimales.
Un budget non négligeable
Tout « parent » de furet le sais déjà : petit animal n’est pas synonyme de petit budget ! Cette maxime prend tout son sens dans le domaine de la reproduction, les dépenses pouvant très rapidement attendre des sommes astronomiques.
Une reproduction sans encombre est déjà source de note salée, entre les vermifugations préventives, l’identification et la vaccination des furetons, l’investissement dans des cages de maternité adaptées…Mais dès que la moindre ombre au tableau se profile, les frais vétérinaires peuvent très largement dépasser les estimations !
Si votre furette doit subir une échographie, il vous en coûtera en moyenne une centaine d’euros. Si la mise-bas ne se passe pas correctement et qu’il faut procéder à une césarienne, la facture pourra s’élever à plus de 300 euros, selon la difficulté à opérer et le nombre de petits à extraire… sans même prendre en compte les possibles frais d’hospitalisation et le coût du traitement post-opératoire.
Autant dire que le projet, souvent perçu comme une possible source d’argent facile par les particuliers, peut en réalité devenir une source d’importantes dépenses !
Le cercle vicieux des furetons à bas prix
La mise-bas s’est bien passée, la mère a élevé correctement ses furetons (ou du moins la plupart d’entre eux), et le particulier a pu sélectionner son bébé préféré pour le garder à la maison. Que vont devenir les autres furetons de la portée ?
La réponse est simple : ils ont de grandes chances d’être mise en vente à un prix très bas. Si les éleveurs professionnels de furets proposent leurs petits à des prix allant de 120 à 300 euros en moyenne, on retrouve chaque année de plus en plus de furetons à 20 euros sur des sites internet de petites annonces. Ce prix extrêmement bas est directement corrélé à la qualité des soins offerts pendant la croissance des furetons : pas de vaccination ni de vermifugation, pas de contrôle vétérinaire de bonne santé, une nourriture qui laisse parfois à désirer…
La normalisation de telles fourchettes de prix a pour effets pervers de tirer vers le bas le montant que les adoptants sont prêts à payer, ainsi que leurs exigences en matière de bien être animal. Cela incite les particuliers à continuer de fournir un « travail » de mauvaise qualité, tout en détournant le public des éleveurs professionnels consciencieux.
Ce phénomène est fortement amplifié par l’utilisation des réseaux sociaux, puisque les annonces de vente d’animaux n’y sont pas filtrées ni vérifiées avant publication. Il est alors très facile pour les amateurs d’écouler leurs furetons non vaccinés et non vermifugés, au détriment des éleveurs qui se retrouvent avec leurs jeunes sur les bras.
Reproduire ses furets pour vendre ensuite les bébés à un prix très bas via internet consiste à perpétuer un cercle vicieux, qui normalise la reproduction irraisonnée par le grand public, tout en pénalisant les professionnels passionnés.
Réflexions éthiques
La conséquence la plus dramatique de la normalisation des reproductions sauvages est l’abandon de ces furets acquis pour une somme misérable. Cette problématique est très bien connue des associations de protection animale en ce qui concerne les chiens et les chats : en effet, une grande majorité des chiens et chats accueillis par les refuges chaque année sont issus de reproductions par des particuliers ; et non d’achats chez des éleveurs professionnels, contrairement à la croyance populaire.
Malheureusement, ce cas de figure s’étend aujourd’hui aux furets. Les associations spécialisées dans la prise en charge de furets abandonnés le confirment : plus de la moitié des animaux qu’elles accueillent chaque année sont le fruit d’une portée d’amateurs.
En reproduisant votre furet pour vous amuser, vous prenez le risque que plusieurs des furetons nés chez vous finissent leurs jours dans un refuge, après être passés par plusieurs foyers…
Par ailleurs, en raison de la concurrence déloyale qu’ils subissent, les éleveurs rencontrent davantage de difficultés pour placer leurs propres animaux…ce qui creuse les écarts entre petites, moyennes et grandes structures d’élevage.
Pour être rentable, un élevage de furets doit compter au minimum une vingtaine de femelles reproductrices. Bien évidemment, si le nombre de mères est plus important, cela génère des revenus plus importants pour l’éleveur. De plus, il peut profiter de prix de gros pour les aliments, les médicaments, et la majorité des consommables. Aussi étonnant que cela puisse paraître, lorsque l’on divise le coût d’entretien par le nombre d’animaux, avoir 300 femelles revient moins cher en frais d’entretien que d’en avoir 20 ! Un éleveur possédant 300 furettes aura donc moins de difficultés à faire face à la concurrence déloyale qu’un éleveur entretenant 5, 20 ou 30 femelles.
Cela signifie que plus les particuliers reproduisent de manière anarchiques leurs animaux, plus les petites structures d’élevage se retrouvent en difficulté. Au fil du temps, cette situation peut aboutir à la disparition des petits élevages et à l’apparition d’établissements de plus en plus grands. La question se pose : pour l’avenir, souhaitons-nous continuer à avoir des petits élevages familiaux de furets ? Ou voulons-nous voir émerger un système composé de seulement deux ou trois « élevages-usines » de 1500 furettes chacun, qui produiront l’ensemble des furetons français, comme c’est le cas aux Etats-Unis ?
Aux regards de ces éléments, il apparaît que faire reproduire son furet est loin d’être une décision sans conséquence. De frais vétérinaires potentiellement colossaux aux effets néfastes d’une mauvaise sélection des reproducteurs, en passant par la normalisation de la vente de furetons low cost, ce choix a des conséquences à grande échelle pour l’ensemble de la population de furets français.
Nos choix d’aujourd’hui déterminent ce à quoi ressembleront les furets de demain.
Il ne s’agit vraiment pas d’une décision à prendre à la légère, pour le bien être et l’avenir du furet comme pour l’avenir des éleveurs français. Ce projet doit absolument être pris au sérieux et faire l’objet de réflexions approfondies, si nous voulons ne pas voir la qualité des furets se dégrader tandis que se développeront des « élevages-usines » de moins en moins humains. Nos choix d’aujourd’hui déterminent ce à quoi ressembleront les furets de demain.
Par Douchka Brouet
Furetterie Twilight Polecats
Catégories :MISES EN GARDE, REPRODUCTION et ELEVAGE